LA FRANCE AUX MAINS  DES POURRIS


VÉZELAY



Les escouades de corneilles mêlaient leurs craillements au vent, défilant, en ordre serré, à intervalle régulier dans un ciel marbré de stries blanches entrelacées, voluptueusement dessinées par les puissants réacteurs d'avions. Le crépuscule frappait à la porte d'une journée sans émotion.  Plate, vide, insipide. A quoi bon continuer à se battre, se disait-il, en rentrant de la longue marche qui l'avait conduit sur les remparts de l'ancienne forteresse de Vézelay. L'air s'était imprégné des odeurs de la terre. L'endroit exhalait des senteurs chaudes et apaisantes. En séchant, l'herbe coupée dégageait une fragrance champêtre, subtilement épicée, qui se mêlait délicieusement au concert des parfums. Il aimait ces instants. Ils l'aidaient à vivre. A présent, son esprit errait, léger, au milieu des bruits du bourg qu'il venait d'atteindre. A l'approche du repas, la rue escarpée grouillait de pèlerins en quête de pitance. Les restaurants avaient rouvert depuis peu. Les saisonniers affichaient  leur nouvelle carte et leurs nouveaux prix en euros.  En ce soir de printemps, peu songeaient à l'addition. Dans ce lieu inspiré où, à chaque coin de rue, le mystique le dispute au magique, la seule religion allait-elle n'être, l'espace de quelques heures, que le plaisir de la chère ? Non. Une clameur dévala la rue Saint Etienne. Elle rappela aux fidèles qu'ils étaient à Vézelay, la pieuse. La basilique illuminée accueillait sous ses voûtes des croyants venus d'Afrique et d'Asie chanter leur foi dans ce haut lieu de la chrétienté. Eux avaient choisi une autre nourriture. Celle que le Christ avait offerte aux hommes pour le salut de leur âme. Tandis qu'à l'intérieur le flamboyant
Requiem de Berlioz entamé par l'organiste stimulait l'appétit spirituel des pèlerins, ventres affamés n'ayant pas d'oreilles, dehors, l'estomac dans les talons, les visiteurs du soir continuaient d'arpenter gaillardement la grande rue, un tantinet inquiets, à la recherche de la table miraculeuse !

Il se régalait de cette cohabitation touristico-mystique. Elle lui paraissait joyeuse et hors du temps. Il avait remarqué qu'il régnait toujours une ambiance feutrée à Vézelay. Les rues bruissaient agréablement, sans excès. Comme si, ici, la retenue était loi.  Les petits conflits de la vie quotidienne s'évanouissaient au contact de la cité. Protection divine ? La crypte sous la Basilique, qui recèle les reliques de Marie-Madeleine, était-elle le centre cosmique de cette concorde ? Bien que son agnosticisme lui interdise de sombrer dans la crédulité, il tendait à le penser. Il avait souvent ressenti des frissons dans cette chapelle souterraine où le roi Richard 1er d'Angleterre, dit Cœur de Lion, était venu se recueillir avant son départ pour la IIIème Croisade. Et où tant d'autres chrétiens, après lui, étaient venus chercher un instant de paix. Des moines franciscains et des religieuses y entretiennent la ferveur par leurs prières quotidiennes. A l'heure des offices, quelques-uns s'installent sur le sol encimenté. Ils s'agenouillent sur de petits bancs en bois, faisant face à l'autel sur lequel brûle une bougie dont la lumière luit intensément dans la pénombre. A cet instant, la crypte est plongée dans un silence propitiatoire. Seule la résonance des pas, sur les marches de pierre de l'escalier qui y descend, parvient à le troubler. L'instant est divin.

MÉDIOCRATIE


Soudain, des éclats de voix rompirent le charme et le tirèrent de son immersion dans cet espace hors du temps. La sottise humaine réapparaissait, grossière et insolente, sous les traits d'un personnage au port affecté, sortant d'une grosse voiture de marque allemande. Un énorme macaron tricolore, placé sous le pare-brise, indiquait avec ostentation qu'on avait affaire à une huile frelatée du système politique français. A l'évidence, un de ces élus, parvenus, comme en a produit et en produit encore en (trop grande) quantité le pays depuis l'avènement de la médiocratie. De ces Adonis du marigot politicard qui n'en peuvent mais de s'admirer. Ne manquait que le tapis rouge à Sa Suffisance.
Cette apparition eut l'heur de le plonger à nouveau dans l'aigreur. Elle réveilla des souvenirs d'une époque où le citoyen engagé, qu'il avait choisi de devenir, avait vu au fil des années, les valeurs morales s'étioler sous les attaques répétées de la classe politicienne avide et cupide. Sa crédulité avait rapidement été battue en brèche. La France, volontiers moralisatrice et donneuse de leçon, était gangrenée,  y compris et surtout, dans ses provinces.

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